Il y a peu, quelqu’un me demandait comment l’inspiration me vient. Vaste question dont je ferais un article si j’avais connaissance exhaustive des causes, des raisons, des influences qui blutent le blé des informations qui me parviennent, séparant l’ivraie du bon grain de l’inspiration, menant à la création…
J’en ferai un article, peut-être, un jour…
Pour l’heure, je voudrais vous conter une anecdote, à propos de l’écriture de la chanson : Il parle aux anges…
Un jour, toutes les bonnes histoires commencent par ce vocable, un jour donc, je me suis arrêté prendre un café dans un café (pardon pour cette répétition !), près de la Porte Saint-Martin. J’étais au comptoir, à songer au rendez-vous pour lequel j’étais en avance. Bien m’en a pris, vous allez voir !
Un homme s’est mis à parler fort, en tout cas d’une voix forte. J’ai tourné instinctivement la tête dans sa direction, poussé par cette curiosité humaine qui nous habite tous, attiré par ce léger trouble dans l’atmosphère d’attente engourdie que Paris affiche à l’arrivée des premiers frimas d’automne. L’homme ne vitupérait pas, il n’admonestait personne, ne s’en prenait ni à dieu, ni à la société, à personne, simplement il parlait d’une voix puissante. Le garçon de café le pria de parler moins fort ou de sortir. Comme je regardais l’homme d’un air amusé, sans moquerie, croyant sans doute que je prenais fait et cause pour lui, il s’approcha de moi, longeant doucement le comptoir, s’y appuyant, pas comme mesurés, poussant son verre, où flottait la mousse d’un fond de demi, sur le zinc. Je parus sans doute un peu circonspect, il me rassura aussitôt, du moins le crut-il, en posant sa main sur la manche droite de mon manteau. Je pense que j’ai dû avoir un léger mouvement de recul du bras, car je sentis un resserrement tout aussi léger de ses doigts sur le tissu de mon manteau. Il me regarda, je le regardai… Qu’allait-il bien me dire, que pouvait-il bien me vouloir ? La suite fut de meilleure augure que cet instant…
Le garçon, pour la seconde fois, vint le prier de laisser la clientèle tranquille. C’est alors qu’il s’adressa à moi, à voix basse, presque en confidence : “Rassure-toi, je ne suis pas saoul !“ Je fus rassuré. Mais il ajouta : “Et je ne viens pas te demander de me payer un verre !“ Là, en revanche, je fus un peu vexé qu’il estimât la pingrerie au rang de mes qualités… Mais je n’en montrai rien… Il reprit : “Je fais ça pour l’embêter ! Tiens, regarde… !“. Et là, d’une voix de basse, mais tonitruante, sorti du corps d’un Harry Baur, il envoya un retentissant : ”Robert, il parle aux anges… !“ Une telle poésie de langage ne pouvait que m’émouvoir, j’en fus donc ému… !
Dès lors, nous passâmes trois heures à discuter de rien, vraiment de rien. Moi, j’ai raté mon rendez-vous, tant pis, lui a peut-être manqué, de son côté, la plus belle histoire d’amour de sa vie, en ne croisant pas, à la sortie plus précoce du café, la plus belle fille de Paris, ou du monde. En tout cas, ces trois heures, à ne parler de rien en particulier, me parurent un espace temporel d’une humanité exemplaire. La seule chose que je sais de lui, c’est que son amie, sa compagne, avait travaillé avec Frédéric Mitterrand. Vous voyez, peu de choses, en vérité. Quand nous nous quittâmes sur le bord du trottoir, je me hasardai à lui demander son prénom, pour le remercier personnellement, par son patronyme, et non d’un banal au revoir adressé à une relation de rencontre, désirant me souvenir de ce moment que nous nous étions offert pour rien, sans contrepartie, sans compromission, heureux simplement que ces bulles de savon conversatoires existassent encore…
Je lui promis que de ce temps hors du temps, je ferai sans doute une chanson, et que j’aimerai l’inviter à l’entendre si celle-ci voyait le jour, il me lança alors, dans un dernier éclat de rire, comme aurait pu le faire un Kersauson prêt à reprendre la mer : “C’est pas la peine… On est qui pour se nommer… Je verrai ta gueule sur une affiche… J’entendrai ta chanson à la radio, peut-être… Et je me marrerai en pensant, moi aussi, à ce moment… Allez, salut, bonhomme… !“
Groggy, j’ai regardé ma montre (et c’est à la lecture de l’heure que je pris conscience du temps passé en sa compagnie !), j’ai pris le boulevard en direction de l’Opéra, et je ne l’ai jamais revu… ! Aujourd’hui encore, chaque fois que je chante cette chanson, j’ai un frisson en entendant l’intro et ce frisson ne me quitte pas jusqu’à la dernière note… !
Qu’il parle longtemps encore aux anges, avant qu’un jour, peut-être, ce soit les anges qui lui parlent… !