Des mots... d'émotions...!

Le rêve est comme le ciel, il appartient à ceux qui s'y laissent prendre

Image (texte complet 2)

Collection : Réitérations
Volume 1 : IMAGE
Christian Lemoine 


Dans mon éternité…

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité :
– J’avais vécu : parti,
Je n’ai rien demandé… ! –
Je pensais m’endormir
Sitôt venue ma fin,
Ils ont cru bon de dire
Que je « fus un Destin… »

Quand ils ont décidé
D’honorer ma mémoire,
Je l’avoue : j’ai trouvé
Sympathique l’histoire :
Rendre mon nom illustre,
Le donner à des rues,
Plutôt qu’après trois lustres,
Par deux fois… disparu… !

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité :
Qu’avais-je fait, ma vie,
Pour être autant choyé… ?
Je n’avais découvert
Aucun vaccin vital,
J’avais juste couvert
Quelques pages, pas trop mal !

J’en ai connu tant nombre
Qui méritaient tel sort,
Mais qui ont rejoint l’ombre
Longtemps avant leur mort :
Abandonnés des hommes
– Pour avoir osé quoi ?
Demeurer autonomes
Des modes qui font lois… ! –

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité,
Souvent, je me languis,
A mon corps, étranger…
Pour flatter ma candeur,
Il fut un temps question
De mettre, insigne honneur,
Mes os au Panthéon… !

Aujourd’hui, passants passent,
– C’est bien là leur fonction ! -,
Passent sans rendre grâce
A mon œuvre, mon renom,
A force de vous dire
Que vous fûtes un génie,
On prend vraiment plaisir
A partager l’avis…

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité,
– Ils m’avaient tant chéri,
Tant, à m’en étouffer… ! –
J’appréhende de flétrir
Dans ma coque de rouille,
Jugeant mon avenir
Aux pigeons qui me souillent…

Mais heureux, les amants,
Là, dessous ma statue,
Se jurent leurs yeux, grands,
De s’aimer tant et plus ;
Je fais semblant de croire
Y être pour grand-chose :
« Sous la cape de ma gloire,
Ils ont tremblé leur prose… ! »

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité,
– Ils m’avaient tant promis ! -,
Si j’avais pu songer
Que rien ne serait tel,
– Tant pis si je vous fâche ! – :
L’espérance éternelle
N’est que vanité lâche… !

Si j’avais pu choisir,
Après une mort tranquille,
D’à ma place dormir
Près d’amis et famille,
Mais je n’eus pas le choix
Car ils ont attendu
Que je n’eus plus de voix
Pour faire ce qui fut… !

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité,
Et si l’on me fleurit
Même jour, chaque année,
Je sens : ils montrent moins
De fougue, de conviction,
Je sais : il faudrait bien
M’en faire une raison…

Pourtant, un jeune auteur
Va publier un livre
Sur ma noble valeur :
Je vais enfin revivre…
On va me réapprendre :
Leçons, récitations…
L’ouvrage n’a su se vendre :
Il finit au pilon… !

Ô dieu, que je m’attriste
Dans mon éternité :
Me voilà sur la liste
Des prochains oubliés…
Paraît qu’on a coupé
Mes crédits d’entretien :
Va-t-on déboulonner
Ma statue, sans chagrin… ?!

Qu’on découvre en mes malles
Mes pages inédites,
– Moi qui les cachai mal
Pour qu’on les trouvât vite ! – ;
Une seconde gloire
M’adviendrait, sans nul doute,
Et pour cent ans d’histoire,
Je reprendrai la route…

Ô dieu, que je fus bête,
Avant l’éternité,
De m’être fait poète
Plutôt que grand guerrier :
Ceux-là ont une aura
Dont même sang versé
Ne tâche l’apparat
Aux livres d’écoliers…

Vous dont l’œuvre mérite
Que l’on s’y penche là,
Gardez-vous que s’ébruitent
Vos succès, vos vivats,
Ils ont telle manie,
Voire besoin d’admirer,
Que le silence, qui suit
La mort, est un peu frais…

Ô dieu, que je m’ennuie
Dans mon éternité… !

Paris, le 05 Septembre 2012.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *